LA SEPARATION DES POUVOIRS ET LA NOMINATION DES CHEFS DE JURIDICTIONS SUPREMES, UNE INDEPENDANCE EN QUESTION ?


Dans tout État de droit, la séparation des pouvoirs est une garantie essentielle contre l'arbitraire. Théorisée dès le XVIIIe siècle, elle vise à empêcher la concentration des fonctions législatives, exécutives et judiciaires entre les mains d'une seule autorité. Mais que reste-t-il de cette séparation lorsque, comme en Côte d'Ivoire, le détenteur du pouvoir exécutif (le Président de la République) nomme les présidents des juridictions suprêmes. Alors, le principe d'autonomie des pouvoirs est-il alors respecté, ou n'est-ce qu'une façade constitutionnelle ?


L'équilibre des pouvoirs en tant que principe fondateur

Deux auteurs ont accordé des travaux spécifiques à la séparation des pouvoirs, à savoir JOHN LOCKE et MONTESQUIEU. C'est ce dernier dont les travaux ont une écho considérable ; pour s'y imprégner, il faut tout simplement se référer à son œuvre intitulée "l'esprit des lois".

Il y affirme ceci : " Pour qu'on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir ." Cette citation souligne l'idée d'un équilibre entre les organes de l'État. Dans cette logique, chaque pouvoir (législatif, exécutif et judiciaire) doit disposer d'une autonomie structurelle et fonctionnelle, sans interférence abusive d'un autre pouvoir.

Or, dans de nombreux pays africains qui appliquent le système romano-germanique, dont la Côte d'Ivoire, on observe une imbrication institutionnelle, où le chef de l'exécutif détient un pouvoir de nomination sur les juridictions les plus élevées.


Le cas ivoirien, une architecture constitutionnelle qui remet en cause la séparation des pouvoirs ?

En Côte d'Ivoire, la Constitution de 2016 accorde au Président de la République le pouvoir de nommer :

_ Le Président du Conseil Constitutionnel (article 130)

_ Le Président de la Cour de Cassation (article 150)

_ Le Président du Conseil d'État (article 150)

_ Le Président de la Cour des Comptes (article 153)

Cela peut paraître contradictoire avec le principe d'indépendance du pouvoir judiciaire. Pourtant, cette pratique existe aussi dans d'autres pays. En France, par exemple, le Président nomme également le Président du Conseil constitutionnel (article 56 de la Constitution française de 1958).

Mais cette logique institutionnelle n’est pas exempte de critiques. Car la  véritable indépendance de la justice ne se résume pas à un simple statut, elle nécessite une autonomie concrète, assurée à la fois par les dispositions légales et par les actions mises en œuvre.

Autrement dit, une nomination présidentielle ne nuit pas nécessairement à l'indépendance, mais elle en affaiblit la perception et le crédit, surtout lorsque les procédures de nomination manquent de transparence ou de contrepoids.


Un équilibre fragile : formalité juridique ou indépendance réelle ?

La doctrine distingue souvent entre séparation des pouvoirs formels et séparation des pouvoirs réels. En effet, ce dernier (la séparation des pouvoirs réels) renvoie à l'effectivité dans la pratique de cette séparation. Pour ce qui est du premier (la séparation des pouvoirs formels), il s'agit de l'organisation consacrée par les normes.

Dans les systèmes des Etats africains, la réalité politique a souvent un poids plus significatif que la théorie constitutionnelle. Dans des situations de présidentialisation marquées, où l'exécutif a une prise prépondérante sur le système politique, les magistrats peuvent être injustement ou justement présumés comme étant sous l'influence du pouvoir politique.

Il est possible de parler d'une autonomie influencée. L'analyse des constitutions de l'Afrique francophone, démontre que la nature des régimes politiques impacte considérablement la marge de manœuvre des juridictions.


Y a-t-il des assurances d'indépendance, malgré tout ?

Certains mécanismes institutionnels peuvent atténuer l'impact de la présidence ; nous pouvons citer

_ Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM), qui est parfois sollicité pour nommer les juges 

_La protection accordée aux juges (inaliénabilité, indépendance) 

_ L'aspect collégial des décisions, qui réduit l'influence d'un individu unique au sein d'une juridiction. Mais ces garanties sont parfois insuffisantes. 

Les institutions ne peuvent compenser les déséquilibres du pouvoir, qu'avec une culture de l'indépendance.


Conclusion

Le pouvoir de nomination du chef de l'État ne signifie pas nécessairement la disparition de la séparation des pouvoirs. Cependant, il appelle à la vigilance, surtout dans les systèmes politiques où l'exécutif concentre déjà une grande partie du pouvoir.

La séparation des pouvoirs ne saurait être une fiction juridique, mais une réalité vivante, qui exige des textes solides, des pratiques démocratiques et une volonté politique constante .

Commentaires

  1. Super ! Il faut surtout des textes solides pour garantir une séparation des pouvoirs éffective

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    1. Mais également que ces textes soient efficacement et effectivement appliqués. Le grand problème en Afrique ne se trouve pas toujours dans la faiblesse de nos textes, mais dans les réticences liées à l'application effective des dites textes.

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